 'histoire retient la date du 27 juillet 1214 comme
la première manifestation du sentiment national français. Cette bataille n'est
que l'aboutissement de la politique de Jean sans Terre en France au début du
XIIIe siècle. Il succède à son frère Richard Cœur de Lion le 26
mars 1199, mais il accumule plusieurs erreurs graves qui conduisent à la
confiscation de ses biens. Dès 1203, Philippe Auguste s'empare de l'Anjou, du
Maine et de la Touraine. En 1204, il prend Château-Gaillard, Rouen puis la
Normandie. Après deux ans de trêve, il récupère encore une grande partie de
la Saintonge et du Poitou. Jean ne garde plus que le sud du Poitou, la Guyenne
et la Gascogne, où il est largement détesté. En 1213, il est même
excommunié et doit se déclarer vassal du pape pour sauver son royaume.
 our
se venger, Jean sans Terre regroupe une grande coalition contre Philippe
Auguste. Il réunit le comte Ferdinand (dit Ferrand) de Flandre, le comte Renaud de Boulogne
(Philippe Auguste a pillé la Flandre en 1213 et privé Renaud de son comté de
Boulogne) et surtout l'empereur allemand Othon IV de Brunswick.
 n
vaste plan de campagne est donc dressé en 1214. Mais la coalition commet une
grave erreur. Au lieu d'unir ses troupes en Flandres à celles de ses alliés,
Jean sans Terre préfère débarquer entre Loire et Gironde, marcher par le sud
vers Paris tandis que l'empereur et les comtes l'atteindront par le nord. Cette
stratégie (diversion, tenaille ou double front) ne peut réussir qu'au prix
d'une excellente coordination des armées, ce qui n'est pas le cas. Le prince
Louis, fils de Philippe Auguste et futur Louis VIII, se charge de maintenir le
roi d'Angleterre au delà de la Loire. Il anéantit son armée le 2 février
1214 à la Roche-aux-Moines, près d'Angers. Pendant ce temps,
l'empereur allemand lève des troupes aux Pays-Bas et épouse la fille du duc de
Brabant. Othon IV est à Aix-la-Chapelle le 23 mars, mais
seulement le 20 juillet à Valenciennes. Depuis février, Philippe Auguste a eu le temps de
faire rentrer ses troupes des bords de Loire et le 20 juillet, ses unités sont réunies autour de
Péronne.
 e 23 juillet 1214, Philippe Auguste prend
l'initiative. Au lieu de foncer droit sur Valenciennes, il s'élève au nord
vers Douai, comme s'il voulait gagner Lille. Le 25, il franchit les bas-fonds de
la rivière Marck par le pont de Bouvines et atteint Tournai le 26. Bien renseigné, Othon IV se
porte à la rencontre des Français et menace Tournai. Philippe Auguste revient
sur ses pas, poursuivi par les coalisés jusqu'en vue de Bouvines. Là, les
Français s'arrêtent et font face. Le 27 au matin, Othon IV aperçoit l'armée
française qui bat lentement en retraite vers l'ouest et oblique directement sur
elle. Un premier engagement se produit aussitôt entre son avant-garde et
l'arrière-garde des Français.
 es derniers ont l'initiative du terrain.
Les bagages et les archives sont déjà en sûreté sur l'autre rive de la
Marck, un contingent d'infanterie des communes les protège. Philippe Auguste
choisit d'attendre les coalisés non pas au centre du plateau (où ses deux
ailes seraient exposées à un ennemi supérieur en nombre), mais à proximité
du pont de Bouvines qui peut ainsi être couvert. Les charpentiers royaux
doivent élargir le pont, la garde personnelle du roi (deux cents sergents à
masse) a pour mission de conserver le passage à tout prix, les milices
rejoignent d'urgence le gros des troupes.
 'armée française se range le long de la
voie romaine, face au nord. Othon IV déploie alors ses troupes (presque 10 000
hommes, dont 1500 chevaliers) sur le haut d'un mamelon, d'où l'infanterie
pourra charger. Le front s'étale sur mille à mille cinq cents mètres, il est
midi environ, la journée est très chaude, les coalisés ont le soleil dans les
yeux. Moins nombreux (à peine 500 chevaliers), les contingents français s'espacent davantage pour
éviter un débordement. Le dispositif de bataille est le suivant :
à l'aile
gauche limitée par la Marck et les marais, les contingents du comte Philippe de Dreux,
évêque de Beauvais, du comte d'Auxerre et tous ceux du nord ouest. Cavalerie
et infanterie se forment sur deux lignes, l'infanterie des communes devant. Face
à eux, la cavalerie et l'infanterie coalisées comprennent les Anglais de
Salisbury et les mercenaires de Renaud de Boulogne.
au centre, autour du roi,
la cavalerie de la maison royale et, devant elle, l'infanterie des communes et
villes royales. Le fanion bleu du roi de France voisine avec l'oriflamme rouge
de Saint Denis, signe de ralliement des milices. L'ennemi oppose au centre
l'énorme masse d'infanterie des communes de Flandre, Hainaut et Brabant, qui
passe pour redoutable. En arrière, la cavalerie des Pays-Bas et de Lorraine se
groupe autour d'Othon IV. La bannière impériale, dragon et aigle d'or, se
dresse sur un char attelé de quatre coursiers.
à l'aile droite ouverte sur
le plateau, uniquement de la cavalerie. Les unités de Champagne, du duc de
Bourgogne, de Matthieu II de Montmorency, du comte de Saint-Pol, de
Beaumont et de Melun sont rangées sur deux lignes, précédées par un rideau
de sergents à cheval soissonnais. Le frère Guérin, évêque de Senlis, prend
le commandement de l'aile droite. En face, la cavalerie flamande, commandée par
le comte Ferrand de Flandre.
 thon
IV prévoit une attaque convergente centrale, autrement dit, ses ailes doivent
se rabattre simultanément sur le centre français. Mais sur l'aile droite,
Guérin ne lui en laisse pas le temps. Il lance ses sergents à cheval contre
les chevaliers flamands qui, dédaignant de croiser le fer contre des roturiers,
les reçoivent de pied ferme. S'ensuit un long engagement entre chevaliers. Bien
que l'assaut se prolonge pendant trois heures, les qualités de mouvement de la
cavalerie française lui donnent la supériorité. Ferrand de Flandre est fait
prisonnier.
 u
centre, l'attaque des coalisés doit se passer du soutien prévu. Les fantassins
brabançons, en formation en coin (dite aussi en tête de porc),
enfoncent les milices communales qui venaient d'arriver. En un instant, Philippe
Auguste est découvert et renversé de cheval. Mais la cavalerie de la maison
royale entoure bientôt de toutes parts la cohue des fantassins, les charge, les
sabre et les disperse. Othon IV se retrouve à son tour exposé, son cheval
blessé. Guillaume des Barres le poursuit mais quelques chevaliers allemands le
forcent à lâcher sa proie. Abandonnant sa bannière au vainqueur, l'empereur continuera ainsi jusqu'à
Valenciennes. Pour Philippe Auguste, la fuite de l'impérial généralissime est déjà
le signe incontesté de sa victoire.

l'aile gauche, les mercenaires anglais inspirent quelques craintes pour le pont
de Bouvines. Mais ils ne peuvent pas tenir face aux contingents féodaux de
Picardie et les sergents à masse du roi. Renaud de Boulogne est également
bloqué sur l'aile gauche et ne peut participer à la mêlée centrale. Il se
défend jusqu'au soir et le cercle de ses sept cents fantassins est brisé par
près de trois mille sergents d'armes. Philippe Auguste ordonne qu'on les
exécute jusqu'au dernier. Renaud de Boulogne est capturé, ainsi que le comte
de Salisbury, demi-frère de Jean sans Terre, au milieu d'une centaine de
prisonniers de marque. La plupart d'entre eux accompagnent le cortège triomphal
jusqu'à Paris.
 a victoire française tient principalement à
la cohésion de ses troupes. La discipline au sein des chevaliers est qualifiée
d'exemplaire. Les pertes de l'infanterie sont considérables, celles de la
cavalerie insignifiantes. Pourtant, l'acharnement des chevaliers fut extrême. La
seconde raison est encore plus simple : l'équipement défensif l'emportait encore de beaucoup sur la puissance
meurtrière des armes du XIIIe siècle. Les fantassins étaient moins
bien protégés, et la tendance privilégiait aussi la capture des chevaliers
pour exiger le paiement d'une rançon. Enfin, il n'est pas fait mention
d'archers ou d'arbalétriers dans cette bataille. Leur rôle fut-il insignifiant
ou n'y en avait-il tout simplement pas, les chroniqueurs restent muets à ce
sujet.
 e 18 septembre 1214,
Jean sans Terre est contraint de signer le traité de Chinon, par lequel il
renonce aux provinces conquises par Philippe Auguste en 1206. Il doit en plus lui payer une très
lourde indemnité. De son côté, Othon IV sort politiquement très affaibli de
cette bataille. Il doit laisser le pouvoir à Frédéric II de Hohenstaufen.
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