 ans le département actuel du Pas-de-Calais se trouve la plaine d’Azincourt, près
de Hesdin. Le 25 octobre 1415, Henri V, roi d'Angleterre, y livre un combat qui
fut un désastre pour la France, comme Crécy en août 1346 et Poitiers en
septembre 1356.
enri V de Lancastre reprend à son compte les ambitions anglaises sur la couronne de
France, et il semble bien que l'heure s'y prête. La France est dirigée par un
roi fou (Charles VI), une régence incapable (Isabeau de Bavière et les luttes
du Conseil de Régence entre Armagnacs et Bourguignons) et une noblesse qui ne
cherche que ses aises matérielles au détriment d’un pouvoir central fort.
enri V dénonce la trêve prononcée en 1396 par Charles V et Richard III, et régulièrement
prolongée jusqu’alors. Il met toutes les chances de son côté, il réunit
une armée et un énorme matériel militaire à Southampton. 1400 bateaux sont
équipés pour le passage de la Manche. Dans la nuit du 12 au 13 août 1415, il
débarque à la pointe de la Hève et établit son camp sur le plateau de
Sainte-Adresse, près du Havre (qui n’existait pas encore). Le 17 août, il
commence le siège de Harfleur, qu' Henri V veut transformer en Calais de
l’ouest et y établir sa tête de pont pour la conquête de la Normandie. Le
roi Charles VI laisse Harfleur sans secours et la ville capitule le 22
septembre. Puis, comme son ancêtre Édouard III, Henri V gagne Calais à
travers la Picardie. Les ponts étant détruits et les gués rendus
impraticables par des défenses plantées dans le lit de la Somme, Henri V décide
de remonter la rive gauche du fleuve par Moreuil, Hangest, Crouy, Picquigny,
Boves et Chaulnes afin de trouver un point de franchissement de la Somme, puis de
la Canche et de la Ternoise. En poursuite, l'armée française du connétable
d'Albret, concentrée à Rouen, passe par Beauvais, Saint-Just, Montdidier, Ham,
Bapaume et Saint-Pol, dépasse l’armée anglaise et tourne pour lui barrer la
route de Calais. Les Anglais franchissent enfin la Somme en aval de Ham par un
passage non gardé. Le 24 octobre, les deux troupes se trouvent face à face.
es Anglais sont fatigués, à court de nourriture et sujets à une épidémie de
dysenterie. Henri V préfère éviter l’affrontement. Il propose même de
rendre Harfleur et ses prisonniers aux Français, mais ces derniers exigent en
plus le renoncement aux prétentions sur le trône de France. Devant son refus,
le combat devient alors inéluctable.
a plaine qui va servir de champ de bataille a la forme d’un trapèze. Elle est
bordée à l’ouest par le château d’Azincourt et sa forêt, à l’est par
le bois de Tramecourt. La terre est grasse, elle a été récemment labourée et
la pluie abondante qui tombe depuis plusieurs jours transforme le terrain en
bourbier.
es Anglais arrivent du sud et se mettent en place sur le côté le plus resserré.
Henri V est un commandant populaire et ses hommes lui font confiance. Depuis
Harfleur, il ne dispose plus que d’environ 6000 soldats mais son armée est
d’une composition plutôt inhabituelle, 5000 archers pour seulement 1000
hommes d’armes à pied et peu de cavaliers. La disposition reste classique :
au sommet de la colline, les hommes d’armes au centre, flanqués par les
archers, le tout en un seul corps homogène. Les bois de chaque côté
permettent de garder les ailes fermées à toute tentative de débordement. A
l'époque, il n'existe aucune unité susceptible de résister à une charge de
cavalerie lourde. Chaque archer est donc équipé d’un pieu de bois d’un mètre cinquante à un mètre
quatre-vingts et taillé en pointe aux deux extrémités. Le soldat
plante facilement son pieu à l’oblique devant lui, ce qui constitue un
obstacle redoutable contre une charge de cavalerie. La position est
essentiellement défensive, mais elle ne laisse aucune opportunité d’attaque.
C’est donc une troupe professionnelle réduite, mais bien entraînée et bien
payée qui s’aligne face à l’armée française, composée de chevaliers
pour qui la guerre est une forme de sport, appuyés par autant de paysans que le
système féodal leur a permis d’enrôler.
es Français bloquent le côté nord de la plaine et la route vers Calais. Ils ont la force du nombre
(environ 25 000 hommes) et un moral à toute épreuve, mais leur
organisation est très déficiente. C’est le Connétable de France Charles
d’Albret qui commande l’armée, assisté par le Maréchal Boucicaut et le
duc Antoine de Brabant. Tous sont des soldats expérimentés, mais leur rang
n’inspire pas suffisamment de respect parmi les nobles chevaliers qui n’en
font qu’à leur tête et ignorent leurs ordres. Les Français sont formés sur
trois lignes. Les deux premières lignes très compactes sont composées
d’hommes d’armes à pied, puis vient une ligne comprenant les arbalétriers
et deux bombardes. Des chevaliers à cheval gardent les flancs et forment une réserve
à l’arrière. La stratégie du Connétable est simple, il souhaite utiliser
les bombardes pour morceler les lignes anglaises en petites sections attaquables
individuellement. Mais chacun veut être en première ligne (d’Albret y
compris) et la troupe est si dense que les bombardes tueraient plus de Français
que d’Anglais. Elles tirent une seule fois, sans aucun résultat.
endant quatre heures, les deux armées se font face, neuf cents mètres à peine les séparent.
Les Anglais tiennent une position défensive et les Français ne semblent pas
enchantés à l’idée de traverser un champ de boue. Mais vers 11 heures,
Henri V prend l’initiative. Il commande à l’ensemble de ses soldats de se
placer à la portée extrême de tir des grands arcs anglais. Les hommes
arrachent leur pieu du sol et se réinstallent solidement à environ trois
cents mètres des lignes françaises. Comme prévu, la première volée de flèches
déclenche l’attaque des Français. Tout d’abord, les chevaliers chargent
les archers protégeant les ailes. C’est un véritable désastre.
ne flèche n’a normalement aucune chance de transpercer une armure de plates,
mais le cheval n’est pas aussi bien protégé. Les chevaux blessés désarçonnent
leurs cavaliers et les projettent dans la boue, s’abattent sur les rangs des
hommes d’armes proches, retournent la boue devant les lignes anglaises,
rendant le terrain encore plus difficile pour les attaquants suivants.
our l’armée française et contrairement à l’habitude, ce ne sont pas les arbalétriers
qui se chargent de désorganiser l’ennemi. L’attaque principale est menée
par la première ligne d’hommes d’armes où chacun essaie de se placer au
mieux, le Connétable d’Albret parmi eux. Les hommes se ruent à l’assaut
des lignes anglaises, mais le champ de bataille se resserre progressivement à
cet endroit et ils se gênent mutuellement, à tel point que certains ne peuvent
même plus lever le bras et utiliser leur arme. Toutefois, malgré la boue et la
cohue de la troupe, les hommes d’armes français enfoncent la ligne anglaise
dans un choc terrifiant, la faisant reculer de plusieurs mètres.
ais ce n’est pas suffisant. Alors qu’un fantassin équipé de son armure est
plutôt mobile, la combinaison boue-cohue les handicape terriblement. Les
Anglais se contentent de les faire tomber et les Français sont piétinés, se
noient dans la boue ou s’étouffent sous le poids de leurs camarades. La deuxième
ligne d’hommes d’armes entre en action mais elle se trouve en plus bloquée
par l’amoncellement des corps devant les positions anglaises. Cette attaque est
également repoussée. Les soldats anglais se livrent alors à la curée
traditionnelle des champs de bataille du Moyen Age, capturant les nobles dans
l’espoir d’une rançon et détroussant les cadavres de leurs armures et de
leurs bijoux. Pourtant, en additionnant les soldats survivants des deux premières
lignes, plus la troisième ligne intacte et les arbalétriers, les Français
sont encore largement plus nombreux que les Anglais et les comtes de Marle et de
Fauquembergues tentent de rallier les troupes pour une troisième attaque.
enri V donne alors l’ordre d’exécuter les prisonniers. Plusieurs raisons peuvent
expliquer cette décision. La première est simplement le manque d’hommes.
Henri V a fait avancer l’ensemble de ses troupes pour forcer la bataille et ne
dispose pas de réserve pour garder les bagages ou les prisonniers. Il peut également
craindre que les ceux-ci se retournent contre leurs gardiens au cours d’une
nouvelle attaque, et ce dans le dos de ses propres lignes. La deuxième est
avancée par William Shakespeare dans Henri V. A ce moment de la bataille, un groupe de chevaliers
français contourne le bois d’Azincourt et attaque la caravane de bagages du
roi Henri V, qui ordonne le massacre par représailles. Cette hypothèse est
moins crédible, car les rançons représentent une énorme somme dont Henri V a
le plus grand besoin. Troisième raison, la politique. L’armée présente à
Azincourt se groupe autour d’un solide noyau d’Armagnacs. En égorgeant ses
représentants influents, il renforce la position de ses alliés Bourguignons.
Enfin, il ne faut pas oublier que les Anglais sont à court de vivres et que les
prisonniers doivent être nourris jusqu’à l’arrivée à Calais.
’attaque de Marle et de Fauquembergues est facilement repoussée. Les deux comtes
trouvent même la mort dans cette charge qui est la dernière offensive française de
la journée. La bataille d’Azincourt sonne le glas de la chevalerie féodale,
autant empêtrée dans ses traditions désuètes que dans ses lourdes armures.
La boue et surtout l’indiscipline des chevaliers français coûte la vie à près
de mille sept cents d’entre eux, pour des pertes totales estimées à environ
dix mille hommes. En comparaison, les Anglais perdent approximativement mille
cinq cents hommes. Plusieurs grandes figures du royaume sont gardées prisonnières
des Anglais. Parmi elles, le duc Charles d’Orléans, premier prince de sang,
neveu du roi Charles VI et chef des Armagnacs, qui va demeurer 25 ans en
Angleterre, ainsi que le duc de Bourbon. Au nombre des morts, il faut compter le
Connétable d’Albret, le duc d’Alençon, le duc de Brabant, le duc de Bar et
le comte de Nevers. La fine fleur de la chevalerie est décapitée. Près de
deux tiers des lignages de familles nobles s’éteignent en France, n’ayant
plus d’héritier mâle vivant.
enri V poursuit méthodiquement son action. Il écrase une flotte mercenaire génoise
au large du Havre; puis débarque de nouveau à Touques. Il occupe tour à tour
Deauville, Auvillars, Lisieux, il s'empare de Caen et en fait sa résidence
provisoire. Puis il prend Bayeux, Argentan et Alençon sans grande difficulté.
Seule Falaise lui résiste quelque temps, mais la ville tombe en février 1418.
Toute la basse Normandie est occupée. Le roi d'Angleterre franchit alors la
Seine et occupe la vallée de 1'Andelle. Le siège de Rouen se termine en juin
1419 par la reddition de la ville, vaincue par la famine. Henri V meurt de
dysenterie en 1422. En 1429, Jeanne d'Arc rencontre le Dauphin Charles à Chinon.
Ensemble, ils chasseront les Anglais de France, mais ceci est déjà une autre
page de l’Histoire.
e saviez-vous ? La bataille d’Azincourt
serait à l’origine du
V de la Victoire. Les Français
auraient menacé de couper les doigts des archers anglais. A la fin de la
bataille, ces derniers victorieux narguent les survivants en levant l'index et
le majeur pour montrer que les Français n'ont pas réussi à les couper. Le
symbole est resté.
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